L’Inspection du travail en France constitue un objet abondamment étudié par les sciences sociales. Des travaux ont fait l’histoire de cette administration en montrant qu’elle illustre les ambiguïtés des politiques d’encadrement du développement industriel depuis plus d’un siècle, qui à la fois le promeuvent et cherchent à limiter les effets délétères qu’il induit pour la santé des populations [Dhoquois-Cohen, 1993 ; Reid, 1994, 1995 ; Viet, 1994]. Dans une perspective inspirée de la sociologie du droit, d’autres travaux ont fait de l’Inspection du travail un cas d’étude de la bureaucratie d’État au concret et de la manière dont est négociée la traduction des règles légales dans les activités sociales [Dodier, 1986, 1988 ; Tiano, 2003a ; Mias, 2015]. Enfin, en s’inscrivant dans une sociologie de l’État attentive aux dynamiques de managérialisation de l’action publique [Bezes, 2009], des recherches mettent en évidence la perte progressive d’autonomie des inspecteurs du travail [Szarlej et Tiano, 2013 ; Szarlej-Ligner, 2016 ; Mias 2015 ; Borraz, Merle et Wesseling, 2017]. Pour l’essentiel, ces travaux se sont intéressés aux services d’inspection dépendant directement du ministère du Travail, chargés d’inspecter les entreprises relevant du régime général (industrie et services). Pourtant, le contrôle de l’application du droit du travail a été historiquement pris en charge par des services d’inspection multiples, dont les frontières ont varié au cours du temps [Szarlej-Ligner, 2017]. En se focalisant sur le seul régime général, la plupart des travaux sur l’inspection du travail négligent par construction le poids des conflits de territoires entre administrations centrales dans l’évolution de leur objet. Dans cet article, nous proposons précisément d’éclairer une partie de cette infrastructure institutionnelle, à partir du cas de l’Inspection du travail agricole, de sa naissance à la fin des années 1930 à sa mort en 2009. [premiers paragraphes]